Le sculpteur Alexandre Käuflin, condamné à mort par le Conseil de Guerre, fut passé par les armes à Colmar le samedi 29 août 1914 à 17h30 au stand de tir de la route de Wintzenheim. L'abbé Brunnissen l'assista à ses derniers moments. Le cadavre fut immédiatement transporté au cimetière. Des affiches annonçaient l'exécution du jugement.
L'"Elsässer" publie sous ce titre un compte-rendu très détaillé de son correspondant Fernand Deiber au sujet de l'exécution du sculpteur Alexandre Käuflin en août 1914 à Colmar. Le langage clair qui dessine à merveille le règne du tout puissant colonel von Mellenthin nous dispense de tout commentaire. Voici cet article dans toute son intégrité.
C'était dans ces journées critiques du mois d'août 1914. Les troupes allemandes avaient évacué Colmar le 20 août. Le lieutenant-colonel von Mellenthin dirigeait l'évacuation. La dernière "manifestation militaire" de ce "brillant officier" fut de faire sauter avec une précipitation inouïe le pont du chemin de fer au sud de Colmar, le 20 août vers 13h45. Il espérait ainsi détruire le croisement des lignes de chemin de fer Bâle-Strasbourg et Colmar-Fribourg? Ce n'est que le 22 août, après le combat malheureux de Logelbach-Ingersheim, que Colmar fut abandonné définitivement par les troupes allemandes qui se replièrent derrière la ligne de l'Ill. Comme d'autre part les troupes françaises n'occupaient pas la ville, et se contentaient seulement de l'observer par des patrouilles de chasseurs à cheval, Colmar formait pendant plusieurs jours pour ainsi dire une zône neutre. C'était l'époque des rencontres sanglantes de patrouilles, l'époque d'une attente anxieuse, l'époque pendant laquelle les obus sifflaient au-dessus de la ville.
Dans ces journées critiques, Colmar fit preuve d'un très grand calme, et se dispensa de toute manifestation à l'égard des patrouilles françaises. C'était une sage précaution. Aussi le maire Dieffenbach pouvait-il écrire dans un compte-rendu au ministère en septembre 1914 : "La population de Colmar en sa plus grande majorité a eu une conduite loyale".
Cependant, dans ces heures d'anxiété, Colmar regorgeait d'indicateurs et d'espions chargés de signaler les patrouilles et les mouvements des Français. En particulier, les membres de la société "Pfadfinder" (scouts) étaient out spécialement dressés à rechercher, déguisés en garçons laitiers, des renseignements militaires à Logelbach, Ingersheim, etc... Mais à la longue les Français qui, après tout étaient des soldats également, ne se laissèrent plus duper par ces gamins poussant des voitures laitières et dont certains étaient armés d'un superbe pince-nez. Bref, la mèche fut éventée et les sentinelles françaises ne les laissèrent plus passer. Un jeune garçon qui ne s'était pas arrêté à la première sommation fut atteint par un coup de feu. Fait commun, pratiqué déjà par les Allemands en temps de paix, et à plus forte raison, au cours de la guerre soit en Belgique, en France, en Russie ou en Roumanie, et je me demande pourquoi certaines personnes s'en émurent tant à cette époque. Le consortium d'espions et d'indicateurs se mit à rechercher le coupable, et trouva une victime en la personne du sculpteur Alexandre Käuflin, originaire de Logelbach, âgé de 29 ans qui fut accusé d'avoir attiré l'attention des Français sur l'activité des Pfadfinder et d'avoir ainsi provoqué ce coup de feu malheureux.
Jeudi 27 août, vers midi, la police de Colmar transportait en voiture le
"grand criminel" au Conseil de Guerre de Colmar, qui résidait, ainsi que sa
subdivision, pour le moment à Vieux-Brisach. Ce grand criminel était Käuflin.
Nous n'avons jamais compris comment la police municipale, dirigée en l'absence
du commissaire de police Greb par M. Schirm, s'était arrogé le droit de chercher
à Logelbach, situé dans la zone des armées françaises, un individu coupable ou
non. Les deux policiers savaient-ils que, d'après les lois de guerre, ils
risquaient leur tête en procédant à une arrestation derrière la ligne des postes
ennemis ? Une grande émotion régnait dans la caserne d'artillerie à Brisach. Un
espion, ou plutôt comme on disait "une tête de cochon" a été amené de Colmar et
devait être passé par les armes. Le pourquoi et le comment ne leur
donna pas de migraine. Tel un fauve blessé, le lieutenant-colonel von
Mellenthin arpentait la cour de la caserne. Il fallait à tout prix la
comédie d'une session du Conseil de Guerre pour sauvegarder au moins les
apparences. [...]
22 novembre 1925 : une stèle commémorative
Dimanche
22 novembre 1925 à 11 heures fut
inaugurée au cimetière une stèle commémorative pour Alexandre Käuflin. La
pierre porte l'inscription :
Ci-gît
Alexandre Käuflin
fusillé à
l'âge de 29 ans
contre toute justice
le 29 août 1914.
Alsaciens,
souvenez-vous !
Ce monument a été érigé par la Société des Anciens Légionnaires de Colmar à leur camarade A. Käuflin, soldat au 1er régiment étranger et titulaire de la Médaille du Maroc, victime de la barbarie allemande.
Source : E. Lévy, Journal d'une Colmarienne pendant la guerre mondiale de 1914-1818 (pages 55, 56, 57, 72, 73)
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