WINTZENHEIM 14-18

Wintzenheim 1914 : Eugène Grawey, otage des Français


Le récit d'Eugène Grawey est consigné dans ce manuscrit

Wintzenheim Ht-Rhin, Guerre 1914 à 1918
Odyssée de 3 jeunes de Wintzenheim

Nous étions âgés de 15, 16, 17 ans en 1914.
Après une avance foudroyante des troupes françaises, Wintzenheim fut occupé le 20 août 1914 par le 152 RI appuyé vers Turckheim et Ingersheim par les chasseurs alpins qui s'avançaient jusqu'aux portes de Colmar.
Nos parents avaient un commerce, café et épicerie. Par suite de la présence des troupes allemandes pendant presque 3 semaines tous les rayonnages d'alimentation étaient vides. Pour subvenir aux besoins de la population et des troupes, nos parents avaient décidé de nous envoyer tous les jours dans la vallée de Munster pour acheter du fromage. Nous faisions ce voyage en bicyclette pendant 8 jours.
Le 28 août les troupes françaises abandonnant les points stratégiques occupés battaient en retraite vers la forêt et les montagnes. Revenant de la vallée, chargés comme des mulets, nous étions arrivés à l'hôtel Pflixbourg [du Saint-Gilles]. Impossible de franchir la ligne de combat où les balles sifflaient de tous les côtés, nous nous sommes décidés d'abandonner notre projet de rentrer à la maison et de suivre la troupe battant en retraite tout en se défendant âprement. Après avoir déposé notre chargement à la ferme Valentin à La Forge, sur les conseils d'un officier qui nous connaissait, nous sommes retournés à Soultzeren pour y passer la nuit...

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... Le lendemain 29 août, dans l'espoir que les troupes françaises auraient repris notre commune, nous avions tenté notre chance de rentrer à la maison. Ce n'était pas le cas, car arrivés à La Forge, le même officier nous dirigea vers la maison forestière Aspach où une réunion d'officiers avait lieu. Il fut donc décidé de notre sort.
Au bout de quelques minutes 4 soldats sortaient de la forêt, baïonnettes aux canons pour nous entourer et nous conduire au grand quartier général de Munster commandé par le Colonel Colligny. Malgré nos protestations véhémentes d'être traités de cette façon, d'autant plus que nos laisser-passer étaient établis en bonne et due forme par le colonel, nous devions nous soumettre à la décision d'être considérés comme prisonniers civils. Le lieutenant interprète Hansi de Colmar qui assistait à nos entretiens nous rassurait alors que nous serions conduits à l'intérieur [en France] et traités de la façon la plus courtoise par l'armée et les civils.
Conduits par le téléphérique à la Schlucht puis à Gérardmer où nous avions séjourné à la caserne. De là, toujours sous l'escorte de nos anges gardiens, nous étions conduits aux prisons de Remiremont, Lyon, Montélimar, Marseille Fort St Jean, Château d'If et Ile du Frioul.
Nous sommes arrivés à Marseille, avec un convoi d'un millier de civils, à minuit. Un avis de la ville rendait la population attentive sur l'arrivée des premiers prisonniers allemands. De ce fait tout Marseille était debout. Quelle ne fut pas leur stupéfaction en ne voyant que des civils. Néanmoins les rues étaient pleines de monde...

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... les fenêtres et balcons illuminés.
Pour être conduits au fort St Jean on nous faisait monter sur les vieux charriots militaires à 2 roues. Nous occupions le dernier véhicule. Malheureusement pour nous les seuls 6 soldats allemands, casque à pointe sur la tête, étaient compris dans notre convoi. La fureur montait dans la foule. Des propos injurieux nous furent lancés. Une pluie de cailloux couvrait notre voiture, des objets utiles la nuit s'écrasaient sur les casques à pointes, nos chapeaux de paille que nous portions furent réduits en miettes et nous étions heureux de nous trouver en sécurité au fort St Jean. De là par une mer houleuse nous étions transportés au Château d'If où nous occupions la cellule de Mont Christo.
Arrivés à l'Ile du Frioul nous avions enfin pu nous reposer en tranquillité, loin du bruit de la ville, loin de la méchanceté des hommes que nous jeunes avons été durement éprouvés.
Nous y vivions une vie oisive et pour faire cesser cette vie, lors d'un rassemblement de tous les internés le chef de camp nous demandait de nous rendre utiles à la nation, soit par un engagement à l'armée, soit par un travail dans une usine d'armes.
Notre trio fut le premier à vouloir s'engager mais étant trop jeunes nous avons été refusés. C'est alors que le plus âgé des 3 de 17 ans est allé travailler à Marseille. Les 2 plus jeunes de 16 et 15 ans, par l'intermédiaire d'amis en Suisse ont pu continuer leurs études au collège de St Claude où nous sommes restés jusqu'au 6 août 1916, date à laquelle nous nous...

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... sommes engagés au 15e chasseurs alpins.
Après quelques semaines d'instruction militaire à Belley, nous avions rejoint le bataillon qui se battait sur le front des Vosges, Champagne, Chemin des Dames, Craonne, etc...
C'est à Craonne que celui qui avait à ce moment 19 ans fut libéré, décoré de la croix de guerre et de la médaille militaire le 17 mai 1917. Après plusieurs mois d'hôpital et de convalescence, se sentant inapte de retourner au front, il s'engagea comme élève pilote à Dijon, Istres et Miramas.
Le 2e qui avait à ce moment 18 ans fut décoré de la croix de guerre et partit avec le bataillon pour l'offensive d'Italie.
Nous ne sommes rentrés à la maison que fin novembre 1918 où nous avions la joie, après 4 ans de séparation, de rencontrer tous les nôtres sains et saufs.
A remarquer que nous étions de Wintzenheim 10 engagés volontaires alsaciens dans l'armée française dont l'un fut tué lors de la bataille navale de Salonique.

Eugène Grawey

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Source : Archives Municipales de Wintzeneheim - AMW 3D2(1)


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