WINTZENHEIM 14-18

Le dépôt de Saint-Rémy de Provence


Interrogé par le Ministre de l’Intérieur, le préfet des Bouches-du-Rhône répond, après enquête, par sa lettre du 24 novembre 1914, en ces termes: « J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il ressort de la recherche faite pour trouver des immeubles vacants susceptibles de recevoir des groupes collectifs d’étrangers suspects ou autres, qu’un seul immeuble pourrait répondre au but proposé. Il s’agit d’une partie d’un asile privé d’aliénés situé à Saint-Rémy de Provence. Le bâtiment proposé est en effet l’asile d’aliénés Saint-Paul de Mausole de Saint-Rémy de Provence, propriété de Frédéric Aubert de la Castille ».

Comment le camp a-t-il fonctionné pendant les cinq années (du 15 avril 1915 au 31 janvier 1920) de son existence ? Les sources archivistiques nous restituent à ce sujet un certain nombre d’informations concernant en premier lieu le personnel d’encadrement et de surveillance de l’établissement. Celui-ci comprend d’une part le personnel administratif: un directeur, Jean Bagnaud, ancien commissaire de police, nommé par arrêté préfectoral du 14 avril 1915, qui occupera ce poste jusqu’à la clôture du camp. Il est assisté par trois surveillants civils, Dominique Grisoni, Félicien Ferréol et Frédéric George, qui occupa également la fonction de vaguemestre. La surveillance attentive d’une population largement germanophone imposée par la censure oblige l’établissement à disposer d’un interprète militaire. Cette fonction, importante dans le contexte de guerre, sera successivement assurée par deux hommes, Pierre Pax puis, à partir de 1917, Paul Neese. Le « personnel de l’entreprise », c’est-à-dire de l’intendance, est le fait de quatre personnes : Madeleine Nicolaï, la gérante, Bénédicte Salomé, chargée de la distribution des vivres, de la surveillance de la cuisine et des fournitures de la cantine, M. Girardot, cuisinier de l’ordinaire et A. Bouquet, cuisinier à la cantine. L’établissement étant un camp d’internement, la surveillance des détenus occupe une place essentielle dans le fonctionnement du dépôt. Celle-ci est assurée par un personnel militaire, dépendant directement de l’état-major des armées. Le camp est à ce titre gardé par un sergent et onze hommes de troupe. Un personnel suffisant en rapport avec l’importance relative du camp. Cette surveillance est notamment garantie par la présence d’un planton côté parc et d’un autre côté cour le jour et, la nuit, de deux sentinelles placées aux deux extrémités est et ouest de la cour doublée d’une sentinelle en arme dans le parc. Les détenus étant des personnes de tout âge, comprenant également des femmes et des enfants, parfois en bas âges, il convenait d’assurer un service médical et religieux. Le premier est dispensé pour les besoins courants par un médecin civil ainsi qu’un dentiste qui vient une fois par semaine d’Avignon pour soigner dans son cabinet de Saint-Rémy les patients. Quant au service religieux, il est assuré par l’un des détenus, pasteur de son état.

L’état sanitaire de la population internée vient confirmer, chiffres à l’appui, l’attention apportée par les autorités compétentes. Sur la totalité des personnes détenues à Saint Paul, on n’a recensé que trois décès (intervenus en 1916), et seulement deux cas de maladies épidémiques (fièvres typhoïdes), et trois placements en hôpital pour affections graves. Certes, il y a la traditionnelle «bobologie» du quotidien (rhumatisme, bronchite, luxation, entérite - parfois plus grave pour les détenus les plus âgés comme des maladies de cœur, du diabète, un cas de tuberculose), mais au total, les sondages réalisés sur le niveau de fréquentation de l’infirmerie du centre, entre 1915 et 1918, révèlent un seuil relativement bas, oscillant régulièrement entre quatre et cinq patients.

Mais le dépôt de Saint Paul n’est pas un centre de villégiature pour réfugiés fuyant les horreurs de la guerre. Il reste un centre de détention, dans lequel sont concentrées des populations «suspectes» par nature. Son fonctionnement est donc soumis à une réglementation stricte et détaillée qui forme l’essence même de son existence. Il est intéressant à ce titre d’en examiner les dispositions essentielles afin de mieux comprendre quel «esprit» animait ce type de camp. De ce point de vue il faudra distinguer (comme toujours) le texte (réglementaire) et son application (au quotidien). La réglementation officielle fait l’objet d’un document élaboré par la direction du camp publié et affiché à l’intérieur du centre dès son ouverture. Il résume en 14 articles les dispositions réglementaires essentielles auxquelles doivent impérativement se soumettre les internés. Ainsi l’article premier souligne-t-il que «l’ordre et la discipline sont rigoureusement observés par les réfugiés, qui sont tenus à obéir aux ordres, observations et prescriptions des fonctionnaires attachés à l’établissement». Toute infraction à ces dispositions, «mauvaise conduite, indiscipline, ivresse et acte répréhensible» sera punie par les autorités du camp (art.2). Le régime de sanction prévoit l’isolement du prévenu pour une durée maximale de quatre jours au cours desquels il ne reçoit comme nourriture que du pain sec et de l’eau (art.4). Les internés doivent par ailleurs assurer eux-mêmes l’entretien des locaux sous la direction d’un surveillant : «leur chambre, les lieux d’aisance, la cour et les dépendances seront nettoyés tous les jours par les réfugiés de corvées, pris à tour de rôle». (art.12). Si l’accès au camp est, bien entendu, interdit à toute personne étrangère à l’établissement (art. 7), les réfugiés sont, en revanche, libres d’en sortir dans un cadre horaire bien défini. L’article 13 prévoit à cet effet que ceux qui ne sont pas punis «pourront sortir librement à partir de 9 heures du matin et pourront circuler dans l’agglomération de la commune de Saint Rémy (sans dépasser un rayon de deux kilomètres autour du camp). Ils devront être rentrés à l’appel de midi, et pourront dans les mêmes limites ressortir à partir de 13h30, et devront être rentrés à 18 h. En dehors de ces heures, personne ne pourra sortir du dépôt sans l’autorisation du directeur». La surveillance est donc étroite et s’exerce dans un cadre bien établi. L’un de ses «outils» les plus efficaces et les plus mal ressentis par la population internée est la censure. Elle s’impose en temps de guerre comme une nécessité stratégique à l’égard d’une communauté allogène importante dont on ignore, du moins au début, l’attachement au sentiment national. L’administration est donc très attentive aux échanges (lettres et colis) que les réfugiés entretiennent avec leurs familles. La censure est donc quotidienne et s’impose comme l’une des dispositions règlementaires essentielles au fonctionnement du camp. C’est le vaguemestre qui en est chargé. Il exerce également la fonction d’interprète.

Officiellement, le dépôt disposait d’une capacité d’accueil de 150 places. Il n’a jamais été en surcapacité avant le mois de juillet 1918, le nombre de réfugiés recensés oscillant entre un seuil minimal de 80 à 90 pensionnaires du milieu de l’année 1916 au milieu de l’année suivante, à un niveau maximal de 100 à 130 personnes le reste du temps. Ce n’est qu’à partir du mois de juillet 1918 que le centre se trouve confronté à un afflux subit de détenus : du 13 au 25 juillet, leur nombre passe en quelques jours de 115 à 170, et leur effectif augmente ensuite régulièrement pour atteindre au début du mois d’octobre 365 personnes, chiffre record qui double la capacité normale d’accueil du dépôt.

Source : Gérard CLAUDE, LES DÉTENUS DE SAINT-PAUL Les « internés civils » du camp de concentration de Saint-Paul durant la grande guerre 1915-1919 Chronique d’une mémoire oubliée


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