WINTZENHEIM 14-18

Château Kiener : visite du Comité Républicain en 1919


Alfred Mascuraud (1848-1926)

Le Comité Républicain

Le CRCIA (Comité Républicain du Commerce, de l'Industrie et de l'Agriculture) plonge ses racines dans l'histoire de la République. Créé en 1898 par le sénateur Alfred Mascuraud, ce comité républicain, alors voué à la défense du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, avait d'abord pour ambition, dans l'esprit de son promoteur, de participer à la consolidation de la République encore ébranlée par l'affaire Dreyfus.
Grâce au parrainage du président du conseil, Pierre Waldeck Rousseau, le CRCIA, qui se donnait la mission de "défendre les intérêts commerciaux, industriels et agricoles" de ceux que l'on appellerait aujourd'hui les socio-professionnels "tout en observant à l'égard du Gouvernement républicain le loyalisme le plus sincère", allait connaître un succès considérable et immédiat.

En mai 1919, le président Alfred Mascuraud fait un voyage dans les provinces reconquises de l'Alsace-Lorraine redevenues françaises. Il s'est arrêté notamment à Bischwiller, Strasbourg, Sainte-Marie-Aux-Mines, Colmar, Kaysersberg, Metzeral, La Forge (château Kiener), Mittelwihr...



WintzenheimLe château Kiener à La Forge (photo Boehrer)

De Colmar à Metzeral : Les ravages de la guerre dans les vallées d'Alsace

Nous avons voulu terminer ce beau et réconfortant voyage par un pieux pèlerinage à la zone alsacienne que la guerre a dévastée, broyée.
Nous quittons Colmar et roulons à travers ces magnifiques paysages, riches, ombreux et qui, parfois, s'entr'ouvrent sur d'immenses panoramas de vallées que bordent, au loin, des montagnes baignées de lumière, des forêts aux lourdes masses sombres...
Sans prétendre retracer par le menu toutes les étapes, tous les aspects de cette randonnée inoubliable, il est du moins essentiel de noter les lieux où la barbarie, la brutalité allemande se sont acharnées tout spécialement.

Parmi les ruines

L'usine Gaebelé, notamment, montre ses bâtiments éventrés, anéantis. Tout y fut détruit par les Boches à coups de marteau, dans les ateliers. Dans la maison d'habitation, les Allemands abattirent un pan de mur entier pour que le général pût entrer à cheval dans le salon. Devant le maître de la maison, on coupa un grand tapis d'Orient en trois parts, qui furent tirées au sort entre le général et ses officiers d'ordonnance !... (Un des fils du maître du logis ne se battait-il pas pour la France ?).
En passant le col de Wettstein, nous saluons pieusement le grand cimetière militaire où dorment tant des nôtres tombés pour la délivrance de l'Alsace-Lorraine.
Metzeral, dans son pittoresque cercle de forêts et de hauteurs a, lui aussi, gardé la trace des combats. L'usine de M. Himmer, où nous faisons un arrêt, n'est plus qu'un chaos sans forme et sans nom de cloisons éventrées, de murs abattus, de pierres écroulées. Et pourtant, déjà, dans cette désolation, la vie se reconstitue. Des braves gens ont voulu habiter, quand même, ces ruines désolées. Une baraque de bois s'intitule bravement : "Restaurant de la gare". Et l'école, ruine parmi les ruines, porte encore des guirlandes de feuillages, touchants vestiges d'une des innombrables réceptions qui ont suivi notre victoire.

Chez M. Kiener

Nous quittons les ruines pour aller rendre visite à un grand Français, M. Kiener, au château de La Forge.
Le château fut occupé par un état-major allemand qui, pour cette fois, n'emporta pas le mobilier dans ses bagages, mais s'empara de toute la demeure et de ses dépendances, ne laissant que deux mansardes aux deux vieilles dames qui habitaient le château.
Nous sommes reçus dans une grande salle que décorent de magnifiques tableaux de chasse, dus à des maîtres alsaciens. A l'issue du déjeuner, M. Kiener tient à souhaiter la bienvenue à ses hôtes.
"La tournée de ce matin, dit-il, vous a donné l'occasion, non seulement de connaître nos belles vallées de Kaysersberg et de Munster, d'apprécier leur développement industriel et agricole, mais malheureusement de constater qu'elles n'ont pas été épargnées par les ravages, les horreurs de cette guerre. Et c'est toujours avec émotion, avec un profond respect, que je passe ce col de Wettstein, où reposent tant de braves, tombés pour la défense de la France, pour la délivrance de l'Alsace et de la Lorraine.
"En 1915, le canon tonnait dans ces vallées, et nos cœurs pleins d'angoisses ne vivaient que d'attente et d'espoir. Malgré le "Gerechter Gott" boche*, le sort des armes s'est prononcé pour notre droit.
"Aujourd'hui, à mesure que le bruit des armées s'éloigne, nous nous remettons à la besogne, car il nous reste une grande tâche à remplir."
Et M. Kiener évoque, avec une éloquence sobre et précise, l'œuvre de reconstitution de l'Alsace, chapitre de la grande reconstitution nationale.
" Repassez vers 1920, dit-il, et vous verrez à la place des ruines une région de nouveau prospère et prête aux grandes luttes industrielles qu'exigeront de nous les temps nouveaux."
Et le maître du château de La Forge lève son verre au président Mascuraud, au Comité Républicain, à la prospérité de l'Alsace et de la France.

M. Mascuraud remercie, au nom de tous ses amis, M. Kiener, et nous repartons pour Mittelwihr, où nous accueillent MM. Greiner et Hugel.
En goûtant le clair vin d'Alsace, M. Couyba**, à la demande générale, nous dit son poème : Les Vins d'Alsace, qui est longuement acclamé.
Et nous revenons à Colmar, d'où nous prenons le train de Paris, par Strasbourg, emportant dans nos mémoires et dans nos cœurs le souvenir inoubliable de ce voyage, de cet accueil, de toute cette région si française, si fière, si émue de l'être, désormais, à jamais.

R. L., envoyé spécial

* Gerechter Gott = juste Dieu !
** Maurice Couyba (1866-1931), sénateur, mais aussi poète et chansonnier sous le pseudonyme de Maurice Boukay

Source : Le Radical, organe d'action démocratique et de progrès social, du jeudi 15 mai 1919


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