WINTZENHEIM 14-18

Le 15-2 pendant la grande guerre


Wintzenheim 152e RIL'ALSACE - LES PREMIERS COMBATS Sulzeren, Grand Hohneck, Colmar (Août 1914)

Soldats, ne te souvient- il pas ?
Déjà sa gloire est ancienne.
La vieille terre alsacienne
A frémi sous ses premiers pas.
Steinbach a vu sa noble rage, Le Spitzenberg son dévouement
Et les rochers du vieil Armand Se souviendront de son courage.
(Chant du régiment.)

Lorsque, le 29 juillet 1914, le régiment reçoit l'ordre de couverture, il semble que, à l'appel strident des clairons, l'angoisse des longues journées d'attente, des lendemains lourds de menace et d'inconnu se dissipe, qu'une allégresse guerrière, et comme un pressentiment de victoire, font battre tous les cœurs. Cependant, à la caserne, le soldat s'apprête avec une rapidité et un ordre impressionnants. On dirait que c'est à la manœuvre, et non pas à la guerre, que le régiment va partir. Les chambrées retentissent de plaisanteries, et plus d'un, en bouclant son sac ou en rangeant ses cartouches, siffle gaiement les refrains familiers de l'Alsace-Lorraine et du Rhin Allemand. Une gaieté, - une ardeur magnifiques, débordent de tous les cœurs. Heure inoubliable de la veillée d'armes, pour tous ces vaillants, qui partent en chantant vers une destinée héroïque et brève, sans songer à la mort qui les guette presque tous.

En trois heures, le régiment est prêt. Des hommes du service auxiliaire supplient leur capitaine de les emmener, et c'est à peine s'il reste à la caserne les quelques hommes qui doivent recevoir les réservistes, tant chacun brûle de prendre sa place au combat! A la nuit tombante, le régiment, couvert de fleurs, traverse les rues de Gérardmer qui de longtemps, n'entendront plus résonner sa clique fameuse, et par les chemins familiers de la montagne il gagne en quelques heures ses emplacements de couverture. Là-haut, sur ces crêtes des Vosges d'où le regard plane vers l'Alsace, tout le long de cette frontière vers laquelle tendaient toutes, ses pensées, au Rheinkopf, au Hohneck, à la Schlucht, au Tanet, et jusqu'au col de Louspach, sur près de 20 kilomètres, le 15-2 vient jusqu'au ranger l'arme au pied, en sentinelle de la France.

Stoïques, sous la pluie glacée et le vent de la montagne, nos hommes attendent face aux Allemands, dont les patrouilles croisent les nôtres. Séparés par la borne frontière, officiers français et allemands se rencontrent sans un mot, sans un geste. Mais, le fer août, un de nos hommes est assailli de coups de fusil partant du territoire allemand. Toute la nuit, les balles sifflent sur la compagnie en position au Hohneck, les hommes reçoivent le baptême du feu avec calme, et ne répondent même pas, et, le 2 août, obéissant à un ordre supérieur, le colonel Thomas de Colligny reporte son régiment à 7 kilomètres en arrière. Mais c'est en serrant les poings et la rage au cœur que nos hommes se replient ainsi sans répondre aux provocations des Allemands, dont les patrouilles traversent déjà la frontière.

Aussi, avec quelle allégresse, le 4 août, à 13h30, on apprend la déclaration de guerre ! Cette fois, plus d'incertitude, plus d'attente. Le sort en est jeté. Et nos clairons sonnent joyeusement :-« En avant ! »

Le fier bataillon enlève les maisons du col de la Schlucht, et la Ire compagnie s'empare même du Grand Hôtel de l'Altenberg, à 3 kilomètres sur la route de Munster. La position était à peine tenue par quelques Allemands, qui battent en retraite à travers les rochers du Kruppenfels vers Sultzeren.

Plus au nord, au Valtin, la 4e compagnie, qui marche vers le col de Louspach, aperçoit une patrouille allemande, avec une témérité magnifique, le caporal Bouvet et les soldats Terrien et Millot s'élancent sur la patrouille ennemie, la rejoignent, lui tuent deux hommes sur huit, en blessent un et font prisonniers l'officier et son ordonnance. Ces premiers héros du 15-2, à qui l'on confie l'escorte de leurs prisonniers, ont peine à se frayer un passage dans les rues de Gérardmer. Après avoir attendu dans l'angoisse les premières nouvelles de la guerre, la population voit dans ces deux premiers prisonniers ,« feldgrau » le gage d'une victoire désormais assurée, et, plus fortes encore que les cris de haine, les clameurs de la foule en délire montent pour célébrer nos soldats.

Quant à l'officier allemand, quelle n'est pas sa confusion, lorsque, dans l'interprète qui l'interroge, il reconnaît Hansi, en uniforme, le malin, l'indomptable Hansi, condamné quelques mois auparavant à Colmar, pour avoir gravement brûlé du sucre sur la chaise que, dans un café, venait de quitter un officier allemand. Car notre cher oncle Hansi, dès les premières heures de la guerre, est accouru rejoindre son vieux 15-2 et, patriote aussi vaillant qu'humoriste malicieux, s'y engager malgré ses quarante ans bien sonnés.

Telle fut cette solennelle journée du 4 août 1914. Comme un rideau qui se lève sur un décor lointain, elle a ouvert au régiment les meilleurs horizons de l'Alsace, que l'inique traité de Francfort prétendait nous voiler à jamais. Désormais, la route est frayée vers la plaine, tous les espoirs sont permis, et nos soldats vont dévaler des montagnes en entonnant les immortelles paroles du Chant du Départ.

La victoire, en chantant, nous ouvre la barrière, La liberté guide nos pas !

Après avoir attendu quelques jours les renforts qui viennent des Alpes, le régiment voit enfin venir l'heure de la marche en. avant. Le 15 août, il attaque le village de Sultzeren, puissamment défendu. Les fer et 2e bataillons s'élancent à l'assaut avec une fougue magnifique et balaient toute résistance devant leurs baïonnettes. Malgré le feu précis et meurtrier de l'artillerie ennemie, malgré l'acharnement de l'Allemand, qui défend pied à pied chaque maison comme une forteresse, le village est enlevé vers 19h30. Aussitôt, dans la vallée, sur les hauteurs qui la dominent le régiment engage une poursuite ardente, pour venger ses premiers morts et faire payer cher à l'ennemi la perte du commandant Millischer, tombé à la tête de son bataillon qu'il entraînait à l'assaut.

Sous la violence de ce premier choc, l'Allemand se replie en hâte, talonné par le régiment. Nos soldats sont comme électrisés par leur succès, et, le soir du 17 août, après un bref combat, le Drapeau du 15-2 flotte dans les rues de Munster. La vieille cité alsacienne fait à ses libérateurs un accueil frémissant. L'allégresse de la délivrance, la griserie de la victoire, enivrent tous les cœurs, et lorsque, le 18 août, les premières marmites tombent sur la place de la ville et que retentissent partout les sonneries d'alerte, le régiment repart à l'attaque avec une ardeur nouvelle, oublieux de ses fatigues.

La marche en avant est reprise par les crêtes qui dominent Munster au nord. Le 3e bataillon (commandant Contet) a pour objectif les Trois-Épis, site ravissant, d'où l'on découvre à ses pieds Colmar et toute la plaine d'Alsace. Tout à coup, sur une cime escarpée que dominent les ruines sauvages d'un vieux burg féodal, au Grand Hohneck, les Allemands surgissent en nombre à travers les sapins touffus. Aussitôt le combat se déchaîne avec une soudaineté farouche, et les Allemands plient sous le choc. C'est un bataillon de landsturm du 2e saxon, qui a pris la place du 171e envoyé dans le Nord. Culbuté en un clin d'œil, il laisse le terrain couvert de morts et de blessés; quelques fuyards à peine parviennent à nous échapper par les Trois-Épis. Mais les deux autres bataillons surviennent à la rescousse, et la lutte reprend plus ardente et plus dure. Au bout de six heures de corps à corps et de fusillades à travers les sapins et les rochers, le 15-2 demeure maître du champ de bataille, où gisent 200 cadavres allemands. Un tireur merveilleux, l'adjudant Marcel, en a abattu 28 à lui seul.

Enthousiasmés par ce succès qui ne nous coûte qu'une cinquantaine d'hommes hors de combat, nos soldats atteignent le lendemain tous leurs objectifs, les Trois-Épis, Turckheim, Wintzenheim, clef de Colmar. L'Allemand contre-attaque vainement pour nous écarter de la ville. Dans un de ces engagements tombe l'un des héros du régiment, le lieutenant Capelle, qui, mortellement blessé au cours d'une reconnaissance, a encore l'énergie d'appeler son sous-officier, lui donne des conseils sur la conduite à tenir jusqu'au dernier instant, et expire en disant à ses hommes . « Courage, mes enfants, c'est pour la France! »

A Wintzenheim, le 15-2, exalté par ses succès, ignorant l'avance foudroyante de l'ennemi, l'invasion de toute la Belgique et du Nord, attend avec une impatience fiévreuse l'ordre d'entrer à Colmar. À peine défendue encore par quelques patrouilles, la ville, à 2 kilomètres de nous, est comme entre nos mains. Il ne faut qu'un geste pour saisir ce joyau, qui va récompenser les fatigues et les sacrifices du régiment.

C'est alors qu'on reçoit l'ordre navrant, et qu'on ne s'explique pas sur le moment, d'abandonner Colmar, de retraiter dans la vallée de la Fecht, sur la ligne Griesbach - Wihr-au-Val, en avant de Munster. Arrêté en pleine victoire, le 15-2 abandonne, la mort dans l'âme, les faubourgs de Colmar, bien résolu pourtant à y revenir un jour, et trop confiant dans sa vaillance pour se résigner à cette injustice du sort.

Maintenant, de mauvaises nouvelles surviennent de tous côtés, comme pour endeuiller tant de joie et d'espoir Mulhouse, deux fois prise et deux fois perdue, l'Alsace abandonnée par ses libérateurs d'un jour, Saint-Dié entre les mains des Allemands. D'âpres combats se livrent au col des Journaux; le col du Plafond et même celui de la Schlucht sont menacés. Chaque heure rend plus critique la situation du régiment, en pointe isolée dans la vallée de la Fecht. Il faut, la rage au cœur, abandonner Munster après Colmar.

Le 15-2 se replie en combattant, et fait tête chaque fois que l'ennemi veut le presser. Le 2 septembre, le 2e bataillon est attaqué violemment près de Wihr-au-Val, et menacé d'être tourné par sa gauche. Engagée pour couvrir son flanc, la 2e compagnie se heurte, à travers des bois très touffus, aux Allemands, qui la fusillent par surprise. A la première rafale, trois de ses chefs de section tombent.

Toute la compagnie se jette avec fureur sur l'ennemi, aux cris de : « En avant, à la baïonnette! » Les Allemands plient sous le choc et se débandent à travers les sapins, abandonnant une tranchée à demi creusée, et jonchée de morts et de blessés. Pendant ce temps, les 6e, 7e et 8e compagnies repoussent de violents assauts. Attaques et contre-attaques à la baïonnette se succèdent sans répit, à travers les sapins, les escarpements, les rochers, qui répercutent le fracas de la fusillade. L'Allemand épuisé s'arrête. De son côté, le 3e bataillon, à Soultzbach, résiste à toutes les attaques. Ces durs engagements nous coûtent 2 officiers tués et 150 hommes hors de combat.

Ils permettent au régiment de s'établir solidement sur les croupes qui dominent la Fecht à hauteur de Stosswihr et de Soultzeren, sur la ligne bientôt fameuse du Reichackerkopf, du Sattel, de Soultzeren, du col de Wettstein, du Linge et du Schratzmaennele.

Sur ce front, le 15-2 repousse de nouveaux assauts; en particulier le 4 septembre au Sattel, ou le 3e bataillon inflige de lourdes pertes aux Allemands.

Le 31 août, le colonel Thomas de Colligny a été remplacé par le lieutenant-colonel Goybet, un chef aimé et admiré, qui mènera le régiment à sa première victoire. Déjà l'ère des ba tailles de position s'ouvre. Le 15-2 ajoutera sa part à la longue liste des noms de collines, de montagnes et de plaines, longtemps inconnues, fameuses maintenant à l'égal des grands champs de bataille de l'Histoire. Mais au cours de cette âpre et monotone guerre de tranchées, que de fois les survivants, chaque jour moins nombreux, des combats du début se rappelleront avec regret cette campagne trop brève, où l'on se battait au grand jour, à travers les montagnes et les forêts d'Alsace, où, dans des engagements imprévus et vite dénoués, la furie française triomphait, où le soir, en talonnant l'ennemi, on traversait en chantant, au milieu des acclamations des villages en fête, cette époque d'enthousiasmes infinis et d'espérances illimitées, où la victoire semblait toute proche.

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Le 15-2 pendant la Grande Guerre - De l'Alsace aux Flandres 1914-1918

Imprimerie Berger-Levrault 1919

Source : http://jeanluc.dron.free.fr - 1914-1918 Les historiques des régiments


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