WINTZENHEIM 14-18

Pierre Bucher - Un rêve de France


Un rêve de France (Gisèle Loth)

Pierre Bucher, une passion française au cœur de l'Alsace allemande

Le docteur Pierre Bucher (1869-1921) fut une figure romanesque comme en produisent les époques de bouleversement. Ce médecin de bonne famille ressentit comme une humiliation l'annexion de sa terre d'Alsace à l'Allemagne prussienne et il n'eut de cesse de la combattre par tous les moyens, s'engageant avec talent sur deux terrains, souvent jugés inconciliables, celui du régionalisme et celui du patriotisme.
Ami de Maurice Barrès, Paul Claudel, Jean Schlumberger, Édouard Schuré et tant d'autres, il développa une intense activité littéraire et intellectuelle. Mais, ayant compris que le patriotisme doit s'enraciner dans le local, il fut aussi l'artisan du renouveau de la culture alsacienne, à travers revues et groupes artistiques, et surtout en créant le Musée alsacien de Strasbourg.
En 1914, à la demande de Clemenceau, il créa, sur la ligne de front, le centre de renseignement militaire de Réchésy, ancêtre de la guerre de propagande moderne.
Mort peu après la victoire et le retour de sa province à la France, Pierre Bucher laisse le souvenir d'un idéaliste généreux et d'un homme d'action toujours sur la brèche. Pour le Président de la République Alexandre Millerand, il représentait même "L'idéal Français".


Notes de lecture

P. 181 - Médecin auxiliaire dans l'état-major du général Pau

En août 1914, un heureux hasard permit à Pierre Bucher d'entrer à Guebwiller avec les premières troupes françaises. Puis il assista à la deuxième bataille de Mulhouse et on lui demanda à deux reprises de pousser jusqu'au Rhin pour explorer la Hardt et repérer les positions allemandes. "Quelle satisfaction, avouera-t-il à Édouard Schuré, quand j'avais réussi à me dissimuler aux patrouilles allemandes et quand je pouvais rapporter à Belfort quelques informations précises. Un jour que le général Pau m'avait demandé d'aller reconnaître sur les pentes du Hohlandsbourg un chemin qui fût praticable à l'artillerie, j'ai eu la joie, à Turckheim, de rencontrer Hansi et de trinquer avec lui à la victoire française". Cependant, avec la défaite de Charleroi, l'armée du général Pau fut dissoute.

P. 201 - " L'académie de Réchésy "

Sans doute cette vie de scribe aurait-elle pesé à Pierre Bucher* si, à son travail de rédaction, ne s'étaient ajoutés de nombreux déplacements, dont il retraça les détails pour l'une de ses meilleures amies, Mme Langweil**. Mme Langweil avait eu une vie extraordinaire. Née Florine Ebstein, dans une famille juive et pauvre d'Alsace [à Wintzenheim], orpheline à l'âge de vingt ans, elle était partie habiter chez une cousine qui tenait une petite pâtisserie à Paris. C'est là qu'elle avait fait la connaissance de Charles Langweil, de vingt-cinq ans son aîné, autrichien et d'un milieu aisé. Il tenait un magasin d'antiquités mais s'en occupait peu, préférant passer ses journées à la pêche. Un beau jour, après huit ans de mariage, il avait abandonné femme et enfants. Seule, avec deux petites filles, n'ayant pour tout bagage que son courage, Mme Langweil avait fait face et s'était lancée dans une vie d'homme d'affaires. En quelques années, grâce à sa passion pour l'art japonais et à sa volonté de fer, elle était devenue l'un des antiquaires les plus réputés de Paris. Nous ignorons comment Mme Langweil et le docteur Bucher se sont connus, mais Réchésy n'était pas un village inconnu pour elle, puisque son frère Salomon était parti s'installer à Delle à la guerre de 1870. Il apparaît nettement dans les lettres que lui écrivait Pierre Bucher qu'il la considérait comme une femme très intelligente et de caractère, une femme en tout cas avec laquelle il pouvait parler politique, évaluation des chances de succès, descriptions des lieux de combat, comme il l'aurait fait avec un homme. Mais il est vrai, nous l'avons vu, que Mme Langweil était tout sauf une faible femme. Cependant, il semble qu'il s'agissait également de la part du docteur d'une sorte de partage secret qu'il lui adressait en retour de son immense générosité. Elle n'hésitait pas à donner une part de sa fortune à l'armée française, il partageait avec elle ses analyses, ses espoirs et lui décrivait la vie qu'il menait. Sa vocation retenue, qui en d'autres circonstances en aurait peut-être fait un journaliste remarqué, apparaît nettement dans les lettres qu'il lui adressait...

* Pierre Bucher (1869-1921) : Né le 10 août 1869, à Guebwiller, dans la maison Weckerlin, et décédé à Strasbourg le 15 février 1921. Médecin, principal fondateur et gérant avec Léon Dollinger du Musée alsacien de Strasbourg, directeur de revues, responsable du centre de renseignement de Réchésy (1914-1918).

 

** Florine Langweil, née Ebstein (1861-1958) : Petite fille, elle voit, en 1870, les Uhlans entrer dans son village. En 1881, orpheline, Florine Ebstein part à Paris où elle rencontre Charles Langweil qu'elle épouse et qui lui donne deux filles, Berthe et Lyli. Mais après huit ans de mariage, Charles Langweil disparaît, abandonnant femme et enfants. Elle reprend alors le magasin d'antiquités de son mari et, passionnée d'art japonais, mais sans formation, décide de se spécialiser dans ce domaine. Au bout de quelques années, son magasin devient l'un des premiers centres artistiques parisiens de l'époque, et elle est bientôt reconnue comme l'un des plus grands spécialistes de l'art extrême-oriental. Elle se retire des affaires en novembre 1913. Durant toute la guerre, elle s'occupe des réfugiés et organise des expositions aux profits de l'armée française. En 1921, elle reçoit la Légion d'honneur. En 1923, elle fonde le prix de Français en Alsace, et fait par la suite des dons importants à de nombreux musées d'Alsace. A sa mort, selon son vœu, ses collections sont vendues. Des musées du monde entier en possèdent des pièces. (p.321)

P. 207 - On savait que le docteur Bucher tenait à disposition des militaires vêtements et couvertures, qu'il stockait dans une pièce qu'il avait surnommée "son petit magasin", lequel était achalandé par ses amis. De la comtesse de Chaumont, il recevait du matériel médical, mais la "fournisseuse" la plus généreuse, c'était Mme Langweil. Fin juin, elle n'avait d'ailleurs pas hésité à organiser une exposition de ses antiquités dans les environs de Paris pour se procurer des fonds aussitôt transformés en colis pour Réchésy. Le 9 juillet 1915, Pierre Bucher lui écrivait : " J'ai reçu de Paris soixante chemises, des caleçons et des mouchoirs. Grâce à mon petit magasin je possède toujours de quoi habiller les malchanceux qui nous arrivent. J'ai toujours dans ma musette ou dans mon auto de quoi secourir les camarades ; boisson, manger."

P. 208 - Durant le mois d'août 1915, Pierre Bucher participa aux remises de prix qui eurent lieu dans les écoles de la partie de l'Alsace redevenue française et de la région. Chaque village tenait à avoir sa fête et, devant la population rassemblée, le plus haut gradé, entouré du conseil municipal en redingote, remettait solennellement aux enfants méritants les prix, le plus souvent constitués par de très beaux livres envoyés par de grands libraires et des lycées de France.

Les enfants son zélés en diable et veulent à tout prix apprendre vite. C'est surprenant ce qu'ils savent déjà. Mais l'accent, le terrible accent ! Qu'il faudra du temps pour qu'ils prononcent "lundi" et non "lädi", "bonjour" et non "bouchour". C'est égal, on a beau vivre comme moi depuis douze mois en Alsace française, on ne peut se défendre des larmes. Cette salle d'école décorée de drapeaux tricolores, parée d'images françaises, avec la République, M. Poincaré et le père Joffre, ces uniformes, ces paysans en redingote mêlés aux soldats, cette musique et ces chants, tout cela est si évidemment la France que l'on a peine à ne pas être étourdi et un peu stupide : on ne peut encore croire que cela soit vrai. Pendant ce temps, les Allemands sévissent dans le reste du pays et l'on demeure confondu devant l'admirable audace, le toupet, la résistance de ces braves gens, qui, au nez de leurs persécuteurs, jettent leur rude défi. (Lettre de Pierre Bucher à Mme Langweil, 5 aout 1915).

Source : Un rêve de France, Pierre Bucher une passion française au cœur de l'Alsace allemande 1869-1921, Gisèle Loth, La Nuée Bleue, 2000


Le Vieil Armand

Pierre Bucher (1869-1921) originaire de Guebwiller, fut confronté, dès sa plus tendre enfance, comme tous ceux qui devaient rester en Alsace, aux problèmes qu'avait posé l'annexion de cette région à l'Allemagne, après la défaite française de 1870.

La guerre aurait pu le surprendre à Strasbourg, si prévenu par un agent de la police secrète dont il avait sauvé la fille, il n'avait pu s'échapper d'Alsace par le dernier train en partance pour la Suisse le 30 juillet 1914.
D'abord médecin dans l'armée du général Pau, Bucher avait été, à la dissolution de celle-ci, présenté au Colonel Andlauer qui commandait à Belfort le service du renseignement militaire français. Très vite, frappé par l'intelligence et la qualité d'analyse du docteur, Pierre Bucher s'était vu confier un bureau du renseignement qui avait été basé à Réchésy, petit village du territoire de Belfort situé à un kilomètre de la Suisse, et à l'époque, à trois du front.
Ce bureau, sous sa direction et du fait de la qualité des hommes qui le secondaient, devait être dénommé l'Académie de Réchésy. C'est sous ce nom d'ailleurs qu'il est passé dans l'histoire et qu'il vit encore dans la mémoire des Réchésiens.
Le travail de Pierre Bucher et de son équipe consistait à passer au crible la presse allemande, apportée de Suisse, afin d'y déceler les fausses informations et l'état moral de la population.
Mais bien vite, Bucher, dont le nom de guerre était Pierre Berger, s'était vu confier d'autres missions, essentiellement semble-t-il,des missions de liaisons avec l'état-major anglais, mais aussi avec certaines unités basées au Vieil-Armand. Ainsi le retrouvons-nous sur ce lieu au début du mois de juin 1915, en compagnie du colonel Richard. De retour à Réchésy, le docteur avait confié ses impressions à Mme Langweil, l'une de ses amies, antiquaire à Paris :
"Je n'ai pas vu depuis le début de la guerre de lieu plus tragique que ce sommet de mille mètres que nos soldats ont pris et repris et dont ils ont la sainte garde, lui avait-il écrit. Il est la clé de Thann. C'est une croupe parée autrefois de sapins géants et qui est à tel point labourée par les obus que pas un brin de verdure n'y a résisté. Sur un grand espace, des tronçons déchiquetés, brisés presque à ras du sol, émergent lamentables, et dressent vers le ciel leurs fibres déchirées. Il est impossible d'imaginer un aspect de désolation plus saisissant. Sur ce sommet sans relâche passent les obus ; des balles sifflent, des mines lancées à 15 mètres éclatent : aucun être ne peut révéler sa présence sans être fauché. Toute la vie est souterraine. Des boyaux innombrables, profonds de 3 mètres sillonnent la montagne, coupés par des abris enterrés où se tiennent les officiers et les soldats en repos. Tout au long du boyau, de 2 mètres en 2 mètres, des niches où sont étendus de braves poilus dormant les poings fermés, la tête sur le sac, les genoux remontés. A côté d'eux, dressés sur un ressaut, leurs camarades veillent, la carabine au poing, l'œil fixé à une meurtrière minuscule. Le silence règne, l'ennemi est à 8 mètres. Toute imprudence est mortelle.
Un peu plus en arrière, des centaines de travailleurs creusent la terre sans relâche, approfondissent les tranchées, créent des trous qui leur donneront abri quand la rafale deviendra plus vive. (...) Ici la vie n'a pas de prix et la mort est indifférente. (...) Involontairement on évoque les catacombes où les premiers chrétiens réfugiés ainsi sous terre se terraient dans des cryptes assurant par leur martyre le triomphe de leur foi. Tous ceux qui sont là pour garder la terre conquise savent que la balle qui ricoche peut les tuer : le sacrifice est depuis longtemps accepté. (...) S'il était dans le dessein du sort de nous purifier par l'épreuve nous pouvons le dire : la France mérite la victoire. Au bout d'un boyau, un poste d'écoute est occupé par notre sentinelle la plus avancée, à 6 mètres du poste d'écoute allemand. Un de ces jours un caillou dans un papier vint tomber près de notre sentinelle. Sur ce papier ces mots : "Attention, ce soir à 5 heures, bombardement... un Alsacien."
En effet, à l'heure dite, une violente canonnade vint inonder de projectiles la position française, mais comme nos soldats s'étaient garés, il y eut peu de blessés. Le lendemain encore, un avertissement semblable qui épargne la vie à de nombreux Français. N'est-ce pas admirable ? Cet Alsacien anonyme que le hasard met de garde en face de nos soldats, qui ne peut déserter parce qu'il expose les siens au village aux dures représailles de l'ennemi, mais qui affronte, fait tout ce qui est dans ses moyens pour sauver quelques vies françaises.
Un jour nous aurons l'occasion de dire tout ce que les Alsaciens et les Alsaciennes auront fait pour la France, et je défie que l'on trouve un petit peuple écrasé comme le nôtre qui ait offert un tel exemple de fidélité." *

* Lettre de Pierre Bucher à Mme Langweil, Réchésy, 3 juin 1915 (archives Geneviève Lehn)

L'ambulance de Mittlach

P. 255 - Ce qui n'est pas connu de ces heures de combat, c'est la présence de Pierre Bucher au sein de l'ambulance de Mittlach, ambulance alpine affectée, à cette époque, au détachement des Vosges du Service américain de campagne, formé en décembre 1916, sous les ordres de la 52e DI française et ce jusqu'en 1917. Jusqu'au début du mois d'avril, l'ambulance de Mittlach fut inaccessible aux ambulances automobiles Ford américaines puis, à la mi-juin, une nouvelle équipe était arrivée et placée sous la responsabilité du lieutenant Joseph R. Greenwood, de New York.

Mittlach

L'ambulance de Mittlach en juin 1917. Troisième à gauche : le Dr Bucher (archives Geneviève Lehn)

Le dimanche 17 juillet 1917, Pierre Bucher s'était rendu à Mittlach, aux côtés d'un confrère, le docteur Le Sourd, qui avait pris une photographie du "groupe de Mittlach ". Il l'envoya à Pierre Bucher, accompagnée d'une lettre mentionnant le nom des personnes présentes. Outre le docteur Bucher, le docteur Le Sourd et le lieutenant américain, se trouvaient réunis : le docteur Roudouly, le docteur de Lignerolle, Marousseau, Maillard, qui appartenait au bureau de Réchésy, et d'autres militaires. Le cardinal Baudrillart, qui allait visiter cette ambulance le 4 septembre 1917, la décrit plus précisément : "Nous descendons sur Mittlach [...] Là se trouve l'ambulance alpine 301, dirigée par un médecin de l'Hérault, le docteur Faussié." Il cite également, aux côtés du docteur, le curé de Mittlach dénommé Florance, ainsi qu'un autre abbé, "l'abbé Gasque, de l'école Bossuet". "L'ambulance, poursuit-il, est à quatre mètres sous terre, avec une masse de rondins, de pierres et de terre par-dessus ; des planches soutiennent la terre ; la lumière électrique est la seule, pas le moindre jour, quelle tristesse ! Il y a là un grand blessé, encore intransportable ". Ainsi, la présence d'autres médecins au sein de cette ambulance n'est pas le fait du hasard, mais le général Jean-Pierre Faure, en nous précisant que "tout suggère que cette localité, en Haute-Fecht, était, à quatre kilomètres en retrait du front, un PC avancé avec une antenne du deuxième Bureau chargée d'interroger les prisonniers et d'évaluer les documents capturés, entre autres", nous donne une autre raison de la présence et du rôle du docteur Bucher au sein de ce groupe. Il semble par ailleurs que cette dernière quinzaine du mois de juillet 1917 fut pour le docteur chargée en diverses missions.

Source : Un rêve de France, Pierre Bucher une passion française au cœur de l'Alsace allemande 1869-1921, Gisèle Loth, La Nuée Bleue, 2000

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Une antenne du 2e Bureau ?

C'est en août 1917, que nous trouvons la trace du docteur Bucher au sein de l'ambulance de Mittlach. Sa présence est confirmée par deux sources indépendantes. La première provient des archives de la famille de Pierre Bucher. Il s'agit d'une lettre émanant d'un certain Dr Le Sourd*, accompagnée d'une photographie. Ces documents nous apprennent que le dimanche 17 juillet 1917, Pierre Bucher s'était rendu à Mittlach, aux côtés du docteur Le Sourd, lequel avait pris une photographie du "groupe de Mittlach". Il l'envoya à Pierre Bucher, accompagnée d'une lettre mentionnant le nom des personnes présentes. Outre le docteur Bucher, le Dr Le Sourd, se trouvaient réunis : le Dr Roudouly, le Dr de Lignerolle, Marousseau (ou Maroussem), Maillard {qui appartenait au bureau de Réchésy} et d'autres militaires dont nous ignorons les noms.
Grâce à M. Jean-Claude Fombaron de Saint-Dié, nous avons pu savoir que l'ambulance de Mittlach était une ambulance alpine affectée au Détachement des Vosges du Service Américain de Campagne**, formé en décembre 1916, sous les ordres de la 52e D.I. française et ce, jusqu'en août 1917. M. Fombaron précisait en outre que jusqu'au début du mois d'avril, l'ambulance de Mittlach avait été inaccessible aux ambulances automobiles Ford américaines, puis, à la mi-juin, une nouvelle équipe était arrivée, qui avait été mise sous la responsabilité du lieutenant Joseph R. Greenwood, originaire de New-York.

La seconde source est conservée dans les mémoires du cardinal Baudrillard qui visitera cette ambulance au mois ce septembre. Dans ses carnets, à la date du 4 septembre, il nota en effet : Saint-Amarin, Mittlach, Col de Herrenberg, Krüth, col de Bramont. Le cardinal Baudrillard quitta Saint-Amarin à 9h et demie du matin. "Nous gagnons la crête des Vosges vers l'ambulance américaine et plusieurs campements ravitaillés par des câbles aériens. Plusieurs routes militaires ont été faites. Nous descendons sur Mittlach, près du front de Metzeral, des sommets du Linge, du Rainkopf, de la cote 925, dont les sommets sont dévastés, les arbres ébranchés. Là, se trouve l'ambulance alpine 301, dirigée par un médecin de l'Hérault, le docteur Faussié, type de Méridional d'un entrain endiablé, qui entraîne ou soutient tout le monde dans ce poste isolé, séparé de tout, souvent dans le brouillard et plusieurs mois sous la neige. Alors on ne peut évacuer les blessés que par les traîneaux ; un mécanisme ingénieux permet de se servir de roues lorsque la neige manque. Avec lui, le curé de Mittlach (...) français fanatique, qui accuse ses paroissiens de bochisme et les invective du haut de la chaire. (...) Il s'appelle Florance et son père vit à Gérardmer. Puis, l'abbé Gasque, de l'école Bossuet, qui est en permission, mais dont on peut deviner l'aller et le bon esprit par la bibliothèque (livres français, allemands, anglais, livres d'études, livres de piété) qu'il a installée dans son abri à 4 mètres sous terre, par des inscriptions latines, italiennes, etc..., de beau style, dont il a orné les murs, sans compter les images...
L'ambulance, poursuit-il, est à quatre mètres sous terre, avec une masse de rondins, de pierres et de terre par dessus ; des planches soutiennent la terre ; la lumière électrique est la seule, pas le moindre jour, quelle tristesse ! Il y a là un grand blessé, encore intransportable, jeune homme de la Haute-Vienne, âgé de vingt ans. Tout près, le cimetière des soldats, bien tenu.
Nous déjeunons dans une salle étroite, elle aussi à la même profondeur et protégée de même ; une petite ouverture comme une fenêtre de prison ; au-dessous, on a collé spirituellement une plaque arrachée à un wagon : "Il est dangereux de se pencher dehors". De fait, à défaut de bombardements, on signale plusieurs fois des avions allemands sur lesquels nos canons tirent, avec une répercussion formidable d'échos dans toutes les vallées. Le repas est abondant et succulent ; compotes de mûres, framboises et fraises des bois, noyées dans le champagne, champignons exquis. (...) La conversation est des plus gaies et tout le monde s'en mêle. Le cuisinier est de premier ordre. Après le déjeuner, je visite l'école, garçons et filles. L'instituteur est un professeur du collège de Châtellerault et la maîtresse des filles une sœur de Ribeauvillé. (....) Nous visitons ensuite le cantonnement, écuries, sellerie, etc, jardin, potager ; je cause avec beaucoup d'hommes qui répondent tous avec bonne grâce et dignité. Quels braves gens ! Je quitte à regrets, vers 3 heures, ce centre hospitalier et curieux".

C'est donc cette ambulance à laquelle le docteur Bucher avait rendu visite un mois et demi auparavant, et si sa présence, en tant que médecin n'est pas surprenante, - il y avait sans doute des médecins spécialisés en chirurgie sur ce lieu avec lesquels Pierre Bucher pouvait échanger des informations médicales - elle est certainement liée à un autre motif. Un courrier du général Jean-Pierre Faure, spécialiste du renseignement militaire, nous précisait en effet en 1999 à propos de Mittlach, que "tout suggère que cette localité, en haute Fecht, était, à 4 kms en retrait du front, un P.C. avancé avec une antenne du 2e Bureau chargée d'interroger les prisonniers et d'évaluer les documents capturés, entre autres". Or quel homme mieux que Pierre Bucher pouvait exploiter les informations recueillies à cet endroit ? Il avait l'habitude d'interroger les prisonniers, d'évaluer les témoignages, d'analyser les situations. Il accompagnait toujours le colonel Andlauer, son chef, en mission lorsque ce dernier se rendait auprès de l'état-major anglais. Il était au courant d'un nombre important d'informations. Or dans "le groupe de Mittlach" pris en photographie par le docteur Le Sourd, se trouve un Américain, le lieutenant Greenwood ; L'hypothèse que cette ambulance ait été, en plus de son rôle réel de services de soins, une couverture pour un P.C avancé, comme le suggère le général Faure, devient évidente à l'analyse.

* François Le Sourd, né à Vals-les-Bains le 20 avril 1871, était le fils d'Ernest Le Sourd, chirurgien de la Marine et propriétaire de la Gazette des Hôpitaux. A la mort de son père en 1899, il prit la tête de cette revue. Il avait un frère Louis, qui fut aussi médecin et éminent spécialiste du sang.

** Bien que l'Amérique ne soit pas encore entrée en guerre à la date citée, certains Américains s'étaient portés volontaires pour combattre sur le sol français en 1916, d'où leur présence. Les ambulances automobiles de Mittlach étaient à l'époque exclusivement américaines (matériel comme personnel). Les Français ne disposaient dans ce secteur - au mieux - que d'ambulances hippomobiles.

Source : http://www.gisele-loth.com/index.php?mact=ListIt2Ouvrages,cntnt01,detail,0&cntnt01item=l-ambulance-de-mittlach&cntnt01orderby=item_position&cntnt01returnid=58#.WezlXrpuI_w


Anecdote

Albertville - Générosité. — Au nom de M. Jacques Xembell, demeurant à Paris, Mme Ebstein Langweil, qui a villégiaturé à Venthon (Savoie), a remis à M. le Maire d’Albertville une somme de 100 francs destinée à venir en aide, pendant l’hiver, à un brave mutilé de la guerre, le caporal Cullet, atteint de cécité complète. Ajoutons que Mme Ebstein Langweil a payé tous les frais du mariage de ce vaillant soldat, décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre, qui s’est uni dernièrement avec une jeune Suisse, âgée de vingt ans, et qu’elle a assisté en personne à la cérémonie à l’issue de laquelle elle a versé une obole dans le tronc du Bureau de bienfaisance. Nous adressons à ces généreux donateurs nos plus vifs et sincères remerciements.

Source : le "Radical des Alpes" du 21 octobre 1916 (information communiquée par M. Jean-Claude Poncet)


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