WINTZENHEIM 14-18

Prisonniers au château d'If et aux îles du Frioul

Alsaciens et Allemands internés à Marseille en 1914


Août 1914 : l'armée française fait une courte incursion en Alsace, puis, contrainte de se replier, elle arrête des milliers de civils, fonctionnaires (alsaciens ou allemands venus d'outre-Rhin après 1871) occupant des postes dans l'administration impériale, ou simplement personnes perçues comme germanophiles et donc soupçonnées d'espionnage.

L'histoire de ces milliers d'Allemands et d'Alsaciens, déportés par l'armée française en 1914, est tombée dans l'oubli. Des centaines d'entre eux furent internés au large de Marseille dans les premiers mois du conflit, au château d'If, puis sur les îles du Frioul où ils rejoignirent des compatriotes arrêtés sur l'ensemble du territoire national au simple motif qu'ils étaient ressortissants d'une nation ennemie ; les uns travaillaient en France depuis des années, d'autres eurent juste le malheur de se trouver sur un bateau qui avait fait escale à Marseille fin août 1914.

Jean-Louis Spieser a retrouvé et traduit onze de leurs témoignages. D'origines très diverses, ils racontent tous l'histoire pitoyable de femmes, d'enfants et d'hommes prisonniers dans des conditions effroyables.

Ces textes révèlent une page de la guerre peu glorieuse et encore inconnue du grand public. "Pourtant, estime Jean-Louis Spieser, un siècle après, on peut en parler. Je ne veux pas que ces voix tombent dans l'oubli".

Enseignant à la retraite, Jean-Louis Spieser vit en Alsace. Il se passionne depuis quelques années pour le sort des Alsaciens-Lorrains déportés durant la Grande Guerre par les Français et a publié plusieurs ouvrages sur ce sujet.

Prisonniers au château d'If et aux îles du Frioul
Alsaciens et Allemands internés à Marseille en 1914

Témoignages réunis et traduits par Jean-Louis Spieser
310 pages, Éditions Gaussen, Marseille, 2017 (22 €)



- Récit de Max Brausewetter (1867-1916)
- Récit de Joseph Rink (1878-1945)
- Récit du Père Caspar (1877-1926)
- Récit du Père Wolfgang (1885-1954)
- Récit d'Eugène Fashauer (1851-1921) + André Hartmann (1845-1925)
- Récit de Paul Vosselmann (1883-1951)
- Récit de Prosper Arnold (1880-1919)
- Récit d'Albert Litschgy (1870- ? )
- Journal de Joseph Burgy (1875-1934)
- Le témoignage de Lucien Duss (1899- ?)


Pages 287 à 289 : Le témoignage de Lucien Duss (de Wintzenheim)

Le 28 août 1914 Lucien Duss, âgé de 15 ans s'en était allé à bicyclette acheter du fromage dans un village du fond de la vallée de Munster avec deux camarades de son âge. Ils sont arrêtés par la patrouille française qu'ils croisent sur leur retour. Après une courte détention dans les Vosges, ils rejoignent Marseille en wagons à bestiaux. Dans toutes les gares du parcours ils sont insultés et maltraités par la population.

Le 9 septembre nous avons continué notre voyage en direction de Marseille. Nous y sommes arrivés le même soir vers 11 heures. On nous a mis sur des voitures et nous avons été conduits au Fort Saint-Nicolas. A Marseille une pierre m'a fait tomber le chapeau de la tête. Et puis un marin a sauté sur la voiture et m'a frappé à la tête. Beaucoup d'entre nous avaient du sang qui coulait de la tête. Mon compagnon d'infortune avait trois plaies à la tête. Oui, ils ont été nombreux à recevoir des coups de couteau ! Nous sommes restés deux jours au Fort Saint-Nicolas. De là nous avons été conduits en bateau sur l'île Château d'If. Là nous avons eu un très mauvais campement. Nous recevions deux fois de la soupe, à 10 heures du matin et à 5 heures de l'après-midi et ça devait suffire pour que nous engraissions. Pas question de café.

A partir de là, j'ai été malade. Nous sommes restés dix jours sur cette île, plus précisément du 12 au 22 septembre. Là j'avais toujours encore l'espoir de rentrer à la maison mais rien ne venait. Le 22 septembre nous sommes allés sur l'île du Frioul. Pendant la traversée, ma maladie s'est encore aggravée. Je n'avais plus d'appétit, mais plus que des douleurs et le mal du pays. Arrivés sur cette île nous avons dû dormir toute la nuit sur un sol de ciment brut. Dormir, c'est beaucoup dire ! Je n'ai fait que penser à la maison et à quand je reverrais mes chers parents, mes frères et mes sœurs. Il y avait deux appels par jour. Et puis la nourriture !... De la viande une fois par semaine et parfois 5 fois du riz à moitié cuit avec de la viande avariée. Nous étions 1000 hommes environ et quelque 300 femmes et enfants. Tous les jours arrivaient de nouveaux convois de prisonniers. Il y avait beaucoup de jeunes du Sundgau. Tous les jours on disait que nous allions entrer chez nous mais il n'en fut jamais rien. J'ai été malade tout un mois. Nous sommes restés là avec cette mauvaise nourriture pendant 3 mois. Enfin, le 1er décembre, après être passés devant une commission, nous sommes arrivés à Béziers, dans l'arène.

Le jeune homme "fête" ses 16 ans à Béziers, est détenu dans le camp de Plaisance dans l'Hérault, est en résidence surveillée à Saint-Claude dans le Jura et ne rentre dans son village que le 26 septembre 1919 après s'être engagé comme volontaire dans l'armée française.

(Source : Ludovic Conte, Annuaire n° 9-2005 de la Société d'Histoire de Wintzenheim) 


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