WINTZENHEIM 14-18

Chronique de la Grande Guerre à Riquewihr

Témoignage d'un viticulteur alsacien : Émile Hugel

Riquewihr

Chronique de la Grande Guerre à Riquewihr

Témoignage d'un viticulteur alsacien : Émile Hugel

André Hugel
Éditions J.D. Reber, 2003
284 pages 

P.5 - 1869-1950 : entre ces deux dates, la vie d'Émile Hugel s'inscrit dans la période où les Alsaciens ont changé quatre fois de nationalité. C'est dire combien les événements politiques pouvaient avoir d'importance pour ceux qui les ont vécu.

Émile Hugel appartient à cette catégorie d'Alsaciens qui n'ont jamais oublié que l'Alsace avait appartenu à la France pendant près de deux siècles, ce qui n'avait pas empêché ses habitants de continuer à s'exprimer dans leur langue "maternelle", l'alsacien, forme locale du vieil allemand, d'usage oral surtout. La pratique courante du français n'était répandue que dans l'administration et les couches de la population les plus aisées et les plus instruites. Après 1870, comme avant, on avait à cœur, dans certaines familles, d'envoyer les jeunes gens et jeunes filles faire un séjour en "vieille France" ou en Suisse francophone pour leur permettre de perfectionner leur pratique du français, dont beaucoup avaient appris les rudiments à l'école ou en famille.


P.15 - Une anecdote tirée de la vie familiale illustre de façon brutale ce que sont alors les sentiments politiques d'Émile Hugel. L'anniversaire de l'Empereur Guillaume II devait être fêté, en Alsace comme ailleurs, tous les 27 janvier. Les enfants des écoles récitaient des poèmes et recevaient, en contre-partie, un petit pain au lait appelé Kaiserbrötchen. Le 27 janvier 1912, Alfred, le frère d'Émile est en visite dans sa famille à Riquewihr. Il constate avec horreur que le "pater familias" se fait remettre tous les petits pains que ses enfants rapportent de l'école et les mange à lui tout seul. Alfred, choqué, lui en fait le reproche, à quoi Émile répond : "Je ne veux pas que mes enfants s'attachent à cet Empereur par suite du plaisir qu'ils auraient à manger ce petit pain...".

En ces années 1912-1913, la tension monte en Alsace contre un autoritarisme prussien qui se fait parfois brutal. L'affaire de Saverne, en 1913, en est l'illustration la plus flagrante. Parallèlement, à Berlin, la crise politique menace. L'Empereur Guillaume II veut la guerre, pour imposer son autorité définitivement (croit-il) aussi bien à l'intérieur de son Empire qu'à la face du monde.

C'est cette montée des tensions, ce péril imminent qu'observe Émile Hugel et qui le poussent à entreprendre, fin juillet 1914, ce qui sera pour lui un instrument de réflexion et de défoulement : la rédaction de ses cahiers de guerre.

Lorsque la guerre s'achène, en 1918, il a 49 ans. Il écrit ensuite de moins en moins dans son journal, mais conserve ses cahier pendant tout le restant de sa vie, ce qui ne sera pas sans danger au moment où il sera repéré comme "deutschfeindlich", au début de la seconde guerre mondiale : on n'ose imaginer ce que la découverte de ce manuscrit aurait pu valoir à son auteur de la part de l'administration nazie.

L'ensemble de ces cahiers a été trouvé lors du décès de son épouse en 1952. C'est son petit-fils André Hugel qui décidera de les publier en 2003.


P.134 - Le 15 mars 1915, on a procédé à la fixation par ménage des quantités autorisées de pommes de terre et de porcs. On dit que quatorze des plus gros de ces derniers doivent être abattus pour éviter qu'ils ne mangent trop de pommes de terre. On dirait qu'il y a beaucoup de porcs, mais n'oublions pas que ce ne sont, en majeure partie, que des porcelets. Toute bête dépassant 90 livres devra être tuée.


P143 - Le prince de Bulow : Prinz von Bülow ( 1849-1929) homme politique, chancelier du Reich de 1900 à 1909, ambassadeur du Reich en Italie 1914-15.


P151 - Carte de propagande.

Für Fleisch, für Brot und Butter, Für Milch und Hundefutter, Petroleum und Licht, Für Seife, Zucker, Eier, Für Wurst und "Tante Meier" Man Karten Dir verspricht, Doch Ware kriegst Du nicht !

Traduction : Pour viande, pour pain, pour beurre, pour lait, nourriture pour chiens, pétrole et lumière, pour savon, sucre et œufs, pour saucisse, on te promets des tickets, mais de la marchandise tu ne toucheras pas.


P.154 - 15 décembre 1915. Je vais à Colmar acheter du café, vu qu'il doit être confisqué prochainement. Calme partout. On y parle de l'évacuation prochaine de Niedermorschwihr, de Katzenthal, d'Ingersheim et de Wintzenheim. Est-ce exact ? Les gens sont anxieux des événements futurs. On dit que trois aviateurs français auraient péri en Haute Alsace. Chose non confirmée.


P.160 - 16 et 17 février 1916. Mauvais temps, pluvieux et neigeux. Le 17 février je me suis rendu à Husseren près Colmar en voiture (attelage). Le temps était dégoûtant. A Logelbach, on voit les traces de la lutte du mois d'août 1914 partout. Le mur du cimetière de Wettolsheim a été aménagé (probablement par les Français) de sorte qu'il a pu servir d'abri aux tireurs cachés. 

Vendredi 18 février 1916. Un soldat de retour de Wurzbourg me dit qu'il y a quatre fleischlose Tage (jours sans viande), que le riz, les pois, lentilles, etc. n'y sont plus trouvables, faute de marchandises, et que le bœuf y coûte 2 Marks la livre. Pour se faire une idée de ce que l'homme est condamné à manger dans notre chère patrie allemande, voici la copie d'une réclame d'un droguiste colmarien. Il offre "stets frisch vorrätig in 1/1 Liter, 1/2 Liter u. 1/4 Liter Milchei, Eier-Ersatz, Honigpulver, Puddingpulver, Marmeladenpulver, Trockenmilch, Käselab, Backpulver, Alpenmilch" *. C'est du propre !

* Toujours disponibles en 1 litre; 1/2 et 1/4 de litre, oeufs artificiels, poudre de miel, poudre de pudding, poudre de confiture, lait en poudre, présure de fromage, levure en poudre, lait des Alpes. 


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