WINTZENHEIM 14-18

1915 : en prison pour un baiser "envoyé" aux prisonniers français


En juillet 1915, de nombreux Français sont fait prisonniers dans la vallée de Munster et sont convoyés vers Colmar en passant par Wintzenheim 

PRISONNIERS-01

22 juillet 1915

Wintzenheim, route de Colmar.
Französischer Gefangenentransport aus dem Münstertal am 22. Juli 1915
Transport de prisonniers français (chasseurs alpins) hors de la vallée de Munster.
Le long de la route, les rails du tram à vapeur Colmar-Wintzenheim.

(Photothèque SHW 588)

http://wintzenheim1418.free.fr/H_Passages/H01_Prisonniers/Prisonniers.htm

  PRISONNIERS-02

22 juillet 1915


Le même convoi à Colmar, rue de la Gare (à gauche, une vue actuelle de la rue)..
Les prisonniers se dirigent vers la gare de Colmar
pour être évacués vers différents camps de prisonniers d'Allemagne.

(Fonds privé Gohier-Hadey)
PRISONNIERS-02bis

22 juillet 1915


Détail de la photo précédente

(Fonds privé Gohier-Hadey)
PRISONNIERS-03

22 juillet 1915

Les prisonniers français rue de la Gare à Colmar.
Dans le haut de l'image, des jeunes filles,
qui adressaient de loin des baisers aux chasseurs alpins.
Mais les Allemands n'ont pas apprécié, comme on le verra plus loin...
Celle de droite, marquée d'une croix, est Jeanne Gross, 17 ans.
La photo est datée et signée par les initiales de son père, Robert Gross

 (Fonds privé Gohier-Hadey)

LE LENDEMAIN, DANS LE JOURNAL

Elsässer Tagblatt du 23 juillet 1915

 Source : BNF Gallica

(retranscription et traduction : Marie-Claude Isner)

 

Recht ungehörig haben sich zwei junge Colmarer Damen benommen, die sich verleiten liessen, vorüberziehenden französischen Gefangenen Kusshände zuzuwerfen. Ohne viel Komplimente wurden sie sofort ebenfalls mitgenommen und haben nun Zeit genug, über unangebrachtes Betragen nachzudenken.

Deux jeunes dames colmariennes se sont comportées de façon condamnable lors du passage d’une colonne de prisonniers français en leur envoyant des baisers de la main. C’est avec une certaine fermeté qu’elles ont été arrêtées et ont maintenant l’occasion de réfléchir à leur comportement déplacé.

Elsässer Tagblatt du mercredi 11 août 1915

Source : BNF Gallica

(retranscription et traduction : Marie-Claude Isner)

Das ausserordentliche Kriegsgericht Colmar verurteilte am Montag die beiden Colmarerinnen    Frl.Eugenie Broly u. Johanna Gross wegen unerlaubter Annäherung an den Feind zu je 1 Monat Gefängnis. Der Anklagevertreter hatte ausser unerlaubter Annäherung an den Feind noch deutsch-feindliche Kundgebung angenommen, und dementsprechend 6 Monate beantragt, doch hatte das Gericht diesen Punkt fallen lassen. Die Untersuchungshaft wird nicht in Anrechnung gebracht. Bei der Verkündung des Urteils wurde eines der beiden Mädchen ohnmächtig.

La session extraordinaire du Tribunal de Guerre de Colmar a condamné à un mois de prison ferme les deux colmariennes, Melles Eugénie Broly et Jeanne Gross pour contact non autorisé avec l’ennemi. Le procureur avait retenu à charge, outre le contact non autorisé avec l’ennemi, la manifestation de sentiments antiallemands, motif que le tribunal n’a pas retenu. Le temps passé en détention préventive ne sera pas retenu. Lors de l’énoncé du jugement l’une des deux jeunes filles a perdu connaissance.

Elsässer Tagblatt du jeudi 26 août 1915

Source : BNF Gallica

(retranscription et traduction : Marie-Claude Isner)

Jene Kusshandgeschichte, welche den beiden jungen Damen Gross und Broly einen Monat Gefängnis einbrachte, hatte am Montag ein Nachspiel vor dem ausserordentlichen Kriegsgericht, da noch ein drittes Fräulein, Namens Richard Magarete, sich zu verantworten hatte. Sie war bei den vorerwähnten Kameradinnen gestanden und hatte sich ebenfalls mit den gefangenen Franzosen ins Benehmen gesetzt, indem sie dieselben auf Französisch anredete. Sie fragte diesselben, woher sie kämen und wohin sie gehen, und wann sie wieder kommen würden. Die beiden ersten Fragen gesteht sie ein, die dritte Frage jedoch will sie nicht gestellt haben. Ebenfalls bestreitet sie eine ihr zur Last gelegte Äusserung, wonach sie sich wenig respektierlich vor der deutschen Fahne geäussert habe. Rechstanwalt Wiltberger, ihr Verteidiger, suchte die ganze Geschichte als recht harmlos hinzustellen ; auch in Altdeutschland habe man ähnliche Fälle erlebt und nicht so drakonisch  beurteilt. Hier handle es sich nicht um bewusste deutschlandfeindliche Aeusserungen, höchstens um weibliche Neugierde. Der Vertreter der Anklage brandmarkte recht scharf das Herandrängen an die Gefangenen und erblickte in dem Versuch, ein Gespräch mit den Franzosen anzuknüpfen, ein deutschfeindliche Äusserung ; er errachte eine Gefängnis Strafe von 2 Monaten am Platze. Das Gericht liess Milde walten und verurteilte Frl. Richard nur wegen Annäherung an den Feind zu 5 Tagen Gefängnis. Die Schutzhaft wird dabei nicht in Anrechnung gebracht. Unter den als Zeuge vernommenen jungen Damen befanden sich auch Frl. Gross und Frl. Broly, die einen recht niedergeschlagenen Eindruck machten.

L’histoire du baiser « envoyé » qui a valu aux deux jeunes femmes Gross et Broly une peine d’emprisonnement d’un mois, a connu un épilogue lundi 23 août lors de la session extraordinaire du Tribunal de guerre. En effet, une troisième jeune femme, Melle Richard Marguerite a dû répondre de ses actes. Elle se tenait près de ses camarades citées plus haut et avait également pris contact avec les prisonniers français du fait qu’elle leur avait adressé la parole en français. Elle leur notamment demandé d’où ils venaient et où ils allaient, et quand ils reviendraient. Elle a reconnu avoir posé les deux premières questions mais se défend d’avoir posé la troisième. Elle réfute également l’accusation d’avoir tenu des propos peu respectueux devant le drapeau allemand. Maître Wiltberger, son avocat, a tenté de minimiser les faits ; en territoire allemand, des faits semblables se sont produits et les jugements n’ont pas été aussi draconiens. Il ne s’agit pas, ici, de propos anti-allemands mais tout au plus de curiosité féminine. Le procureur a stigmatisé violemment le fait de s’approcher des prisonniers et a insisté sur le fait, qu’engager un échange verbal avec les prisonniers, présentait un caractère anti-allemand. Compte tenu des faits, une peine d’emprisonnement de deux mois sur place a été requise. Le tribunal fit preuve de clémence à l’égard MelleRichard, condamnée à 5 jours d’emprisonnement, ne retenant que le motif de s’être trop approchée des prisonniers. Il ne sera pas tenu compte de la période passée en préventive.  Parmi les jeunes femmes citées en tant que témoins se trouvaient aussi MellesGross et Broly qui, de façon notoire, n’en menaient pas large….

La femme d’Alsace-Lorraine et l’Allemand depuis 1914

André FRIBOURG, 1918

Dans cet article, André Fribourg recense avec abondance les diverses "résistances" des femmes francophiles et les sanctions disproportionnées qu'elles encouraient pour la moindre peccadille. Il a été publié en deux épisodes dans le bimensuel " Le Correspondant "

1ère Partie dans LE CORRESPONDANT du 25 août 1918, pages 649 à 670

2ème Partie dans LE CORRESPONDANT du 10 septembre 1918, pages 855 à 879

Le procès des jeunes Colmariennes est relaté dans la deuxième partie, pages 867-868.

Source : Google-Books

Quand les Alsaciennes et les Lorraines virent arriver les premiers prisonniers français, elles cherchèrent à s'approcher d'eux, à leur manifester leur sympathie, leur complicité. Tous ces gestes de pitié et de fraternité furent durement réprimés par les Allemands.
Jeanne Gross et Eugénie Broly sont arrêtées sous l'inculpation « d'approche illicite de l'ennemi ».  Leur crime ? Elles ont « échangé de loin des baisers avec des prisonniers français ». Le rapporteur du Conseil de guerre extraordinaire de Colmar du 9 août 1915 demande pour elles six mois de prison et « fait valoir cette circonstance aggravante que l'acte a été publié par tous les journaux ». Les jeunes filles se partagent deux mois de prison. Une de leurs compagnes est compromise dans cette terrible « affaire » et jugée par le Conseil extraordinaire de Colmar ; l'Elsaesser Tagblatt du jeudi 26 août 1915 nous raconte en ces termes cette grotesque et triste histoire :

L'affaire d'envoi de baisers qui valut aux jeunes demoiselles Gross et Broly un mois de prison eut une suite lundi devant le Conseil de guerre extraordinaire où comparaissait une troisième personne, Mlle Marguerite Richard. Elle s'était trouvée avec ses camarades précitées et était en tout cas entrée en relations avec les prisonniers français auxquels elle s'adressait en français. Elle leur demanda d'où ils venaient, où ils allaient et quand ils reviendraient. Elle reconnaît les deux premières questions, mais refuse d'avouer la troisième. Elle conteste également la déposition d'un des témoins à charge suivant lequel elle se serait exprimée peu respectueusement sur le drapeau allemand. L'accusation demanda une peine de deux mois de prison. Le tribunal se montra indulgent et ne condamna Mlle Richard que sur le chef d'accusation « d'appendre de l'ennemi » à cinq jours de prison sans tenir compte de la prévention. Parmi les témoins cités se trouvaient les jeunes demoiselles Gross et Broly qui firent une impression tout à fait piteuse.

" Les Nouveaux Oberlé " de René Bazin

écrit et paru en 1919 chez Calman-Lévy

***

Extrait :

[...] - Moi, j'en connais, des victimes de leurs conseils de guerre. Mais le plus beau de leurs jugements, c'est celui qu'ils ont prononcé contre deux jeunes filles, Jeanne Gross et Eugénie Proly, en juillet dernier. Elles avaient, à Colmar, envoyé des baisers à des prisonniers de France, qui passaient dans les rues. Les Schwobs les ont condamnées chacune à un mois de prison, " pour approche illicite de l'ennemi ". [...]

(collection Catherine Gohier)

Médaille de la Fidélité Française

Cette affaire a connu son épilogue en 1924 par l'attribution, à Jeanne Gross et à Eugénie Brogly de la Médaille de la Fidélité Française.

Préfecture du Haut-Rhin, Cabinet, 7 juillet 1924
à Madame STAHL, née GROSS Jeanne
Paris
Je suis heureux de vous faire connaître que Mr. le
Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères, accueil-
lant favorablement la proposition que je lui avais adressée en
votre faveur, vient par arrêté du 1 Juillet 1924 de vous confé-
rer la Médaille de la Fidélité Française. Votre promotion figure
au Journal Officiel du 5 Juillet courant.
Ce témoignage de reconnaissance du Gouvernement de la
République est la juste récompense de votre attachement, dans
des moments difficiles à la cause française. Laissez-moi vous
en exprimer mes plus sincères félicitations.
Le diplôme ainsi que les insignes vous seront adressés
prochainement.
Vueillez agréer, Madame, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Préfet, Henri Gasser

 (Fonds privé Gohier-Hadey)

***

La Médaille de la Fidélité française est une médaille française d'honneur créée le 3 juillet 1922 pour témoigner de la reconnaissance du gouvernement français envers les Alsaciens et les Lorrains emprisonnés ou exilés pour leur patriotisme (Source : Wikipédia)


Jeanne GROSS

Voilà donc, en quelques mots, la mésaventure, en 1915, d'une jeune Colmarienne de 17 ans,
expérience quelque peu traumatisante pour cette jeune fille au coeur francophile.

Jeanne GROSS est née le 19 juin 1898 à Sainte-Croix-aux-Mines, Haut-Rhin.
Ses parents, Robert Gross (1867-1944) et Valérie, née Lallemand (1869-1926), sont inhumés à Turckheim.

Le 22 juillet 1915, elle se rendait à son cours de piano avec son amie
quand elles ont croisé les chasseurs alpins, rue de la Gare.

En 1921, mariage en région parisienne où elle a suivi son mari René STAHL.
Institutrice, elle y a exercé le métier de préceptrice dans une famille aisée "à particule".
Jeanne est décédée le 15 juin 1963 à Saint-Maur-des-Fossés, Val-de-Marne

***

Photo : Jeanne GROSS vers 1920
(collection Catherine Gohier)

Tous nos remerciements à Madame Catherine Gohier, petite-fille de Jeanne Gross, pour la mise à disposition des archives du Fonds privé Gohier-Hadey

Qui aurait des informations sur Eugénie BROLY ou BROGLY et sur Marguerire RICHARD ?

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